Le matriarcat ou le trop féminin
Depuis la nuit des temps, si l’on en croit les vestiges qui nous sont parvenus, le système social fut matriarcal, au fil du temps et des cultures jusque vers – 5000 ans avant J.C.
Le matriarcat renvoie avant tout au culte de la Terre/Mère. C’est l’époque où l’élément cosmique, la collectivité dominent sur le principe personnel. L’époque aussi où l’agriculture exercée par la femme se développe. Le collectif faisait de la femme un être sacré, lié à la fécondité d’où un droit maternel fondé sur le mystère de la naissance.
La femme a pouvoir de vie ou de mort. Nous retrouvons cette réalité exprimée dans les grands mythes universels sous la forme de la Grande Mère qui règne sur les mers, les eaux, les bois et les montagnes : c’est Gaïa pour les Grecs, Astarté en Chanaan, Cybèle en Asie Mineure, Isis en Égypte. Plus récemment chez les Ibères, les Crétois, dans l’ancienne Égypte la femme gouverne les tribus, c’est la prêtresse des druides, la sorcière, la magicienne. Là toujours, la propriété se transmet par la femme, l’enfant appartient au clan de la mère (on retrouve cela au Portugal, en Espagne il me semble que l’enfant porte le nom de la mère, Juifs). L’enfantement relève du sacré où le rôle du père n’est pas connu. Les temps ne sont pas si éloignés où l’on ignorait encore le rôle de l’homme dans la procréation. La femme est assimilée à la terre, féconde comme elle. Habitée par les puissances obscures, elle est l’élément qui génère la vie. La mère, la femme est liée donc, au mystère, à l’inconscient, à l’inconnu. L’homme de cette époque est comme englouti dans tout ce féminin, dans ce sein accueillant de la mère, de la terre, au risque d’y étouffer, de s’y anéantir, mais l’être humain en même temps a peur de l’inconnu et le masculin va entrer en lutte.
ET NOUS ENTRONS DANS L’ÈRE DU PATRIARCAT OU TROP DE MASCULIN
A part quelques îlots disséminés dans le monde, où va perdurer le matriarcat, c’est le système patriarcal qui va dominer, sur le modèle d’un Père-créateur, Unique, tout puissant, viril, autoritaire.
L’homme va prendre conscience de sa propre valeur. Il va prendre le dessus sur tout ce qui est irrationnel, magique, mystère. En voulant rationaliser, contrôler, donc dominer ce qu’il ne connaît pas, l’homme va peu à peu perdre son lien avec la nature, avec le féminin. La femme se voit soumise à une force virile, physique. Elle est enfermée, les châtiments corporels lui sont infligés. Elle devient celle qui est inférieure, soumise à son maître et seigneur.
Dans la mythologie, Horus apparaît face à Isis, Zeus règne en maître absolu de l’Olympe chez les Grecs. Les textes de l’antiquité, multiples, témoignent de ce nouvel état : par exemple, Pythagore au 5è siècle avant JC dit que “le principe bon crée l’ordre, la lumière, l’homme, le principe mauvais crée le chaos, les ténèbres et la femme”. Clément d’Alexandrie, au 3è siècle après JC lui, déclare que “Toute femme devrait être accablée de honte à la pensée qu’elle est femme.” etc… Dans sa forme la plus extrême, le Patriarcat transforme les valeurs de la femme en malédiction, la femme est un être inférieur et sans droit aucun. Sous l’empire romain, une femme est une “res”, une chose. Son époux a droit de vie ou de mort sur elle. En Grèce, elle est reléguée dans le gynécée. Dans nombre de tribus, on tue à la naissance un certain pourcentage de filles.
Chez les juifs, on retrouve une prière “Béni sois-tu, Adonaï qui ne m’a pas créé femme.”. Même chose chez les chrétiens qui fuient ce qui est féminin. Tout dans ce monde patriarcal n’est pas aussi extrême. On peut trouver différents courants ou différentes formes que va prendre ce qui reste un système patriarcal. Deux courants assez nets dominent : dans l’un, la femme est purement et simplement réduite à quasiment rien, un objet, sexuel entre autres. C’est le cas de la Rome antique, un monde guerrier qui remporte des victoires. La vertu est masculine : le mot vertu vient de vir qui signifie homme en latin. L’autre courant accorde plus de place au féminin, et de ce fait, un peu aussi aux femmes. C’est le cas de civilisations d’Orient où l’homme reconnaît les valeurs féminines : Lao Tseu (Chine) dit que : “Le plus doux l’emporte sur le plus dur, l’eau sur le rocher, le féminin sur le masculin”.
En Chine toujours, la femme n’avait certes aucune place officielle mais l’homme interrogeait toujours sa mère avant de prendre une décision, qu’elle soit d’ordre personnel ou politique. En Inde, il n’y a pas de dieu sans sa Shakti, principe féminin. On peut s’apercevoir que ces civilisations qui reconnaissent les valeurs de vie du féminin sont de très longue durée, alors que l’empire romain par exemple, très vite immense, s’est écroulé presque aussi vite. Dans un passé moins lointain, on retrouve cette acceptation du féminin mais il ne s’agit en rien de l’acceptation de la femme. Les troubadours dès le XIè siècle chantent leur Dame. Dante choisit pour guide Béatrice sa muse, la sagesse divine, la Sophia, a des traits féminins, les romantiques du 19è siècle chantent la femme mais dans toute cette approche, poétique ou non, la femme n’est pas considérée comme un être vivant, de chair mais comme une image, un idéal.
Là encore, nos auteurs illustrent bien ce courant. Balzac dit : “La femme est une esclave qu’il faut savoir mettre sur un trône”, Baudelaire parlant de la femme : “Un de ces animaux qu’on appelle généralement mon ange, c’est-à-dire une femme”. Ces citations parmi tant d’autres, montrent à quel point il y a rupture entre ce féminin projeté et les femmes, êtres humains. Et voilà un monde patriarcal bien en place et pour longtemps, avec non pas un arrêt, ni même une parenthèse, mais une courte période, assez particulière, du moins en France : une partie du Moyen-âge. En préparant cette conférence, je me suis souvenue qu’autour du 12è, 13è siècle, on voit des femmes, au même titre que les hommes, dans les corporations de tailleurs, de barbiers, selliers, charpentiers, etc… Les femmes, à l’exception des filles de grands seigneurs, avaient plus de droits civils que les femmes du 19è siècle. L’époque était dure, oui, mais pour tous, H et F, et le Moyen-Age fut beaucoup moins anti-féministe que ne le furent les siècles suivants. Et je me suis demandée s’il n’y avait pas eu là en début du 2è millénaire, tentative d’équilibre entre H et F, petit clin d’œil vers notre début de 3è millénaire. Mais ce ne devait pas être le moment et tout est rentré dans l’ordre… patriarcal !!
Au fil des siècles et jusqu’à nos jours, il va y avoir des exceptions, quelques femmes vont sortir de l’anonymat, une Aspasie, épouse de Périclès (5è siècle en Grèce), quelques saintes comme Radegonde, Clotilde vers le 12è, Geneviève ou encore la très célèbre Catherine de Sienne. A remarquer toutefois que ces femmes se distinguent soit après la mort de leur époux, soit parce qu’elles sont abbesses. Au 17è et 18è siècle on connaît quelques femmes influentes dans la vie politique, mais ce sont des femmes dont l’action reste dans l’ombre telles la Pompadour, Mme du Barry, Mme de Sévigné sur un autre plan. Des femmes qui toutes furent moquées, voire violemment vilipendées. Lors de la Révolution de 1789, des femmes ont lutté pour la reconnaissance des droits de la femme. En 1791, sous la Terreur, “La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune.” dira Olympe de Gouges. En 1793, elle sera guillotinée. C’est vers 1830, que le terme même de féminisme apparaît sous la plume de Fourrier (philosophe et sociologue) pour désigner une doctrine réclamant que le rôle des femmes dans la société soit étendu. En 1868, les réunions de femmes sont à nouveau permises. Louise Michel (1830-1904) bien connue pour ses conférences féministes sera également de la Commune en 1870. En 1849, 1ère femme médecin en Amérique, en France, Marie Curie (1867-1934) est 1ère femme professeur d’université, mais dans un dictionnaire Larousse de 1957, son nom n’est pas directement cité : elle n’est que l’épouse de Pierre Curie. Elle était Prix Nobel en 1911 ! En même temps, face à ces femmes, d’autres femmes : “Je suis excessivement femme pour l’ignorance, l’inconséquence des idées, le défaut absolu de logique.” et c’est signé G. Sand !!
Je passe rapidement sur tous ces faits et nous voilà déjà au début du 20è siècle. La révolution industrielle, l’implantation de + en + grande de la machine, faisant perdre à la force physique de son importance, l’école obligatoire contribuent à l’émancipation de la femme. Durant les guerres mondiales, la femme va remplacer l’homme dans le monde du travail. En 1906 pour la Scandinavie, 1920 aux USA, 1928 en Angleterre, enfin en 1944 en France, la femme accède au droit de vote. Moins de 25 ans plus tard : 1968, création du Women’s Lib aux USA, du MLF en France, les deux plus grands mouvements de libération de la Femme qui affirmaient entre autres que dans une société patriarcale, le sexisme marque la vie des femmes dans tous les domaines. Depuis les années 1970, la lutte des femmes s’est poursuivie, surtout dans le domaine du travail mais aussi en politique. Nous pourrions nous étendre très longuement sur cette période mais je propose que maintenant nous essayons de voir où pourrait mener cette lutte revendicatrice et en guise de transition, voici quelques citations d’une femme longtemps considérée comme le phare des féministes, Simone de Beauvoir, célèbre depuis 1949 pour avoir écrit le deuxième sexe : “Que la femme soit fabriquée par la civilisation et non biologiquement déterminée c’est un point qu’aucune féministe ne met en doute”. Elle précisait qu'”On ne naissait pas femme mais qu’on le devenait sous le joug de la domination masculine et bourgeoise”, et enfin une dernière phrase, “Si j’étais un homme, tous les soirs je ramènerais une bonne femme différente”. Édifiant !!
Il n’est pas question pour moi de remettre en cause toute cette lutte des femmes. Elle a été nécessaire, elle est encore essentielle, vitale même dans tant de pays, il n’est que de voir ce qui se passe en Afghanistan ! Mais je crois utile ici en France, pays industrialisé, riche, dit évolué, utile donc, d’être vigilant à ce que cette lutte ne mène pas la femme à se nier, à s’oublier en tant que femme. La femme épanouie en tant que femme est celle dont l’animus est à son service en tant que femme. Si cet animus l’aide à prendre sa place de femme, y compris dans la société, alors c’est l’équilibre dans le couple, dans la famille, dans la société, si de son côté, l’homme est dans les mêmes dispositions !
Si la femme n’a pas profondément conscience d’être femme, si elle ne se reconnaît pas en tant que femme, si elle n’utilise pas son masculin intérieur pour se réaliser, que ce soit dans son couple, avec ses enfants ou à son travail, alors cet animus reste dans l’ombre, dans l’inconscient et se pervertit. Ce sont des femmes qui vont croire se réaliser au travers de leur époux, de leurs fils, sur lesquels elles projettent cette force d’animus. C’est l’épouse qui va pousser son mari à être ambitieux, à faire de la politique, au-delà de ce que celui-ci voudrait ou peut. C’est une mama corse, vissée par le mari à la maison, dont le fils deviendra Napoléon : “Je suis fière de toi, mon fils, tu as réussi”. C’étaient les mères et épouses fières de leurs époux et fils partant défendre la Mère-patrie ! Les exemples seraient sans fin. Je rappelle que ce sont des schémas et que toutes les femmes ne sont pas ainsi. Un autre schéma possible que l’on rencontre de plus en plus de nos jours : la femme n’a plus besoin de se projeter sur son mari ou son fils : elle est sortie de chez elle, elle est libre, libre de sa sexualité, de son corps grâce à la contraception, elle obtient de haute lutte des postes-clés dans la société. Oui. A quel prix ? Je dirais qu’elle s’est laissée dominer par cet animus et oui, elle a sa place, mais est-ce vraiment en tant que femme ? Alors elle peut aller jusqu’à la caricature : costume pantalon 3 pièces, portable d’une main, mallette de l’autre, cigarillo à la bouche… Elle court, elle est stressée et continue de penser qu’elle doit faire comme un homme pour être son égale et pourquoi pas “son” supérieur. Combien de femmes sont “obligées” ou décident d’exercer certaines responsabilités professionnelles, politiques exactement comme les hommes uniquement pour être crédibles ? Est-ce vraiment la vocation de la femme que d’être comme un homme ? Que de tout faire pour que l’on oublie qu’elle n’est qu’une femme ? Après cette étape, inévitable, nécessaire je le répète, de revendications, la femme ne doit-elle pas maintenant, chercher à affirmer sa différence, ne doit-elle pas obtenir des droits différents en tant que femme, et aussi en tant que mère ? La femme d’aujourd’hui est-elle dans sa vérité ? Quelle est sa véritable vocation en tant que femme ? C’est ce que nous pourrions débattre ensemble.
Je terminerai en évoquant ces femmes corses qui oeuvrent pour que la violence cesse dans leur région, ces femmes algériennes qui risquent leur vie chaque jour pour que la Paix et la Vie triomphent, femmes afghanes qui meurent chaque jour pour que d’autres puissent survivre, toutes les femmes qui oeuvrent ici et ailleurs… La vocation de la femme n’est pas en fonction de la société mais en fonction de l’humanité, l’homme guerrier et technicien déshumanise le monde, la femme consciente d’être femme peut l’humaniser. Face à tous les excès mortifères de ce monde, la femme déjà dit non, et doit arrêter l’homme au bord de l’abîme… “Protéger le monde des hommes en tant que mère et le sauver en tant que femme en donnant à ce monde une âme, telle est la vocation de la femme”, Paul Evdokimov. “Le paradis est aux pieds de la mère”, extrait du Coran.
1965 déjà : “Femmes de tout l’univers, vous à qui la vie est confiée, en ce moment si grave de l’histoire, à vous de sauver la Paix du Monde”.
Extrait du concile de décembre 1965.
Dominique Brulé Cuvillon – 1998