Conférence de Dominique Brulé Cuvillon (2001)

Tu devrais aller voir un psy, mais surtout ne change pas

Le Moi et le Soi ou l'ombre ?
La première phrase de cette proposition est très entendue depuis quelques années. Elle est lancée sur tous les tons, dans tous les milieux, au bureau, en voiture, dans les médias, presse écrite ou radio… Quelle est la radio qui n’a pas son psy de service ?
C’est la meilleure amie « connaisseuse », elle a fait une psychothérapie ou n’en a pas fait, mais conseille à l’autre d’en faire une, c’est le mari ou la femme qui lance cette phrase à son épouse, son époux, à bout d’argument lors d’un conflit, bref. Tu devrais aller voir un psy est très à la mode.
 
La 2è injonction, elle, n’est pas dite. Elle reste dans l’ombre, inconnue, insoupçonnée même : mais surtout ne change pas ! Nous verrons à quel point celle-ci est active ! Tout est contenu dans cette petite phrase : le pourquoi nous voulons faire une psychothérapie, pourquoi nous ne nous décidons pas à commencer, pourquoi parfois, nous arrêtons plus tôt qu’il ne conviendrait, au nom de qui, de quoi… Nous commencerons par voir ou revoir ce qu’est une psychothérapie, une psychanalyse en réponse à « Tu devrais aller voir un psy ».
En réponse à : « mais surtout ne change pas », nous observerons les résistances intérieures et les résistances extérieures.

Qu’est-ce qu’une psychothérapie ?

Je crois que l’on peut inscrire la psychothérapie, en tant que recherche de bien-être, dans la définition large que l’Organisation Mondiale de La Santé donne de la santé : « Un état de complet bien-être physique, mental, psychologique et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Bien que d’orientation jungienne, j’ai trouvé intéressant de retenir quelques propos d’aînés célèbres qui illustrent assez bien, à mon avis, ce que peut proposer une psychothérapie.
Je commencerai par citer le plus célèbre, Freud, qui vers la fin de sa vie, en 1937, disait que « Le but d’une psychothérapie ne doit pas être d’édulcorer toutes les réactions caractéristiques au profit d’un schématique état normal. L’analyse doit établir pour les fonctions du moi, des conditions psychologiques favorables. Ces conditions favorables rendent l’homme capable d’aimer, de choisir et de travailler ».

A la même époque, Binswanger propose que  » Toute » psychothérapie bien comprise soit RECONCILIATION de l’homme avec lui-même et partant, avec le monde, qu’elle soit métamorphose de l’hostilité envers soi-même en amitié envers soi-même et partant avec le monde ».
Enfin, en termes plus prosaïques, la psychothérapie est une activité de nature scientifique qui consiste à traiter des troubles psychiques par une méthode psychologique spécifique.
 

Après ces définitions, voyons le déroulement d’une psychothérapie.

Nous pouvons y trouver la même logique qu’en ostéopathie :

· les CAUSES de la souffrance, ce qui provoque le blocage
· le POINT DE RALENTISSEMENT
. le TRAITEMENT avec le POINT NEUTRE ou point de repos

· la RESILIENCE ou libération.

La souffrance psychologique, la névrose (je ne parlerai pas ici des psychopathologies graves telles les psychoses) est, nous dit Jung, « Comme un acte d’adaptation manqué ». Il dit encore que cette souffrance ou ce mal-être a son origine dans le conflit qui naît de la tension entre le moi conscient et l’inconscient.
De la même façon, le corps se bloque si nous lui demandons trop.
Très rapidement, le psychique comme le corps, vont atteindre au point de ralentissement, c’est-à-dire qu’ils vont tourner autour de ce point d’impact, de cette blessure psychologique et ils éviteront d’aller là où ça fait mal. Psychologiquement, j’éviterai les risques de conflit, je ne prendrai pas ma place, ou au contraire je chercherai le conflit pour le conflit…, toutes ces REACTIONS en chaîne pour éviter d’aller voir en soi ce qui a fait mal, jusqu’au moment où je n’en peux plus de ce conflit entre l’élan vital en moi, le mouvement vers la vie, mon désir et l’immobilisme, le besoin terrible de sécurité qui me pousse au refoulement, au silence.
 
Inutile de dire que cet état, ce comportement, nous amènent, inconsciemment certes, à choisir nos amis, nos rencontres, à poser tel ou tel type de relation, à instaurer, à générer des rapports qui se posent comme autant de consensus très inconscients. Lorsque nous en sommes au point où ça fait trop mal, où ça craque de partout, je vais voir un psy.
 

LE TRAITEMENT commence.

Au début, ça se passe bien, on a l’impression que rien ne change vraiment tout en se sentant mieux. On peut encore croire que c’est l’autre, la situation extérieure qui font que nous allons mal. Mais quand le patient se rend compte, comme dit Jung, « Qu’il possède une ombre, qu’il porte son ennemi en son propre sein », alors ça devient un peu plus difficile : on perd ses repères habituels, on ne comprend plus rien de la même façon, le conscient (on pourrait parler aussi ici du mental) perd sa toute puissance.
C’est alors qu’apparaissent les RESISTANCES INTERIEURES : je ne comprends pas, non je vous assure c’est comme je vous le dis, c’est trop difficile, je n’y arriverai pas. Je ne développerai pas ici le processus psychothérapeutique qui fait l’objet d’une autre conférence. Je vous disais qu’à ce stade, ce n’était pas toujours facile, même si de nouveaux repères, plus sains, se proposent à la conscience et se mettent en place. Nous retrouvons ce même phénomène en ostéopathie : habitués à marcher de travers, par exemple lorsque l’ostéopathe commence à traiter pour nous remettre d’aplomb, parfois d’autres douleurs surgissent, nous nous sentons déséquilibrés etc… Lorsqu’il s’agit du corps, il nous est plus facile de nous dire que c’est un petit mal pour un grand bien
. Lors de l’analyse ou de la psychothérapie, la plupart des personnes passent ce cap des résistances intérieures.
Le travail se poursuit et nous arrivons au POINT NEUTRE de l’ostéopathe, l’ancien équilibre n’est plus là, le nouveau pas encore là : c’est un moment de fragilité où l’on ressent souvent le besoin de l’appui de l’autre, de l’encouragement de l’autre et dans ce même temps, contrairement au tout début, on n’a plus envie de raconter à l’autre ce qui se passe. Le regard sur l’extérieur change, nous ne savons pas encore où est notre « nouvelle » place, il ne faut rien brusquer, celui qui suit son analyse n’est pas encore forcément prêt à je dirais, gérer la relation à l’autre, or l’autre vit souvent mal cette période de flottement car il ne retrouve plus, lui non plus, ses repères habituels dans la relation.
 

Nous voilà au cœur des RESISTANCES EXTERIEURES

Ces résistances, nous les retrouverons sur deux plans : au plan conscient : la résistance va s’exprimer consciemment, directement. Au plan inconscient où s’élaborent, ou naissent ces résistances exprimées.
A partir de ce schéma, sur lequel chaque roue a sa place au milieu des autres, on peut aisément imaginer ce qui va se passer. Une des roues représente notre patient type. Que va-t-il se passer, pour l’ensemble et pour les autres roues, lors de cette période de flottement, de perte des repères habituels.
Tout d’abord, très souvent, un sentiment de soulagement car l’énergie qui circule entre les roues va se détendre. Les roues vont moins être en friction. Là on entend l’entourage du patient déclarer : tu vois, je te l’avais dit d’aller voir un psy, tu es bien mieux (sous-entendu fréquent et nous on respire).
Dans un deuxième temps, l’analysant parce qu’il se reconnaît, parce qu’il s’éloigne du besoin pour entrer dans le désir, va chercher à prendre sa vraie place, dans la société, au travail, avec sa famille, ses amis. L’employé « exploité » va regimber, la mère totalement au service de ses enfants va et c’est le cas de le dire, les remettre à leur place etc… Tout ceci ne se fait pas toujours avec une grande diplomatie, c’est tout nouveau, alors on voudrait, on veut.., et plus ça coince en face, plus le patient va forcer… l’engrenage. Et la machine va grincer, voire se bloquer, et dans le cas le plus extrême exploser (mais finalement c’est assez rare).
Sur le plan conscient,

l’Autre va réagir en fonction de l’intensité des tensions et de ce qu’il est lui, soit par une prise en charge apparemment bienveillante de la tension : tu vas voir, ça va passer, TU vas aller mieux, tout va rentrer dans l’ordre…,

soit par des mouvements de mauvaise humeur, de colère, de rejet : je ne sais pas ce que tu fais avec ton psy, mais TU deviens invivable ! Tu es sûr(e), qu’il (elle) est sérieux (se) ? Tu devrais arrêter, ça ne nous amène rien de bien.. etc…
 
Les deux types de réaction pouvant alterner, se cumuler, toutes les variantes étant possibles. Dans les deux cas, l’Autre est dans une tentative de conserver l’ordre préexistant, de garder le contrôle.

Sur le plan inconscient,
l’Autre est forcément mis en question quant à son rôle, sa place dans ce mécanisme relationnel. Son pouvoir, son contrôle, sa sécurité surtout, sont bousculés. Il y a des peurs (pas forcément reconnues ni mêmes conscientes) qui se dévoilent au travers des réactions. C’est le moment où les parents, conjoints appellent le psy pour leur faire part de leur inquiétude, non pour eux disent-ils mais pour l’autre ! Moi ça irait , c’est l’Autre qui ne va pas, parfois la pression du milieu est telle que le patient arrête : c’est alors très cher payer la prétendue sauvegarde de la sécurité du groupe, du couple, des relations, d’autant qu’après le relâchement possible entrevu, la tension va reprendre sa force et sera ressentie encore plus douloureusement. Pour ce deuxième temps, je ne peux m’empêcher de faire une parenthèse pour évoquer très brièvement la notion de bouc émissaire qui réunit de façon terriblement perverse les deux injonctions : tu devrais aller voir un psy mais surtout ne change pas. Roland Jaccard dans son livre « La folie », nous donne une définition intéressante du bouc émissaire : « Dans la Grèce Antique, l’une des cérémonies d’extériorisation du mal, du malheur, consistait en un sacrifice humain. ». Le choix, la désignation, les soins particuliers et finalement la destruction rituelle du bouc émissaire (qui en grec se disait pharmacos !), restaient l’intervention thérapeutique la plus importante et la plus significative que connaissait l’homme primitif ».
 
Le bouc émissaire, qu’il soit envoyé à la mort, au désert ou chez le psy, ne changera pas. S’il tentait de changer il se retrouverait devant ce dilemme insurmontable (du moins seul) : si je suis le bouc émisssaire, je meurs,
 si je ne veux plus être le bouc émissaire, ce sont les autres qui meurent (ma famille, mon groupe…).
Ces cas de bouc émissaire se retrouvent notamment dans certaines familles pathogènes. Souvent le bouc émissaire est un des enfants inconsciemment choisi pour sa différence : sensibilité, beauté, intelligence supérieure à la moyenne familiale, ou au contraire débilité physique et/ou mentale etc… Cet enfant va être le porteur des malheurs du groupe, désigné responsable de tous les maux dans un consensus inconscient sans faille. Il devient alors sacré. Chez l’homme primitif, on le tuait.
 
De nos jours aussi, mais différemment :
· consciemment on mène l’enfant de médecin en spécialiste, en psychiatre, en exorciseur : il est celui que l’on doit soigner !

· inconsciemment, la force de l’ombre familiale est telle, la survie psychologique de cette famille dépend tellement de ce processus, que celui qui a été désigné bouc émissaire est condamné.

Je m’arrêterai là, car ces quelques mots suffisent à montrer que cette notion nécessiterait à elle seule une autre intervention. Notons tout-de-même que nous arrivons à aider ces personnes à se sortir de ce drame, mais c’est difficile. En règle générale, il y a nécessité à ce que d’autres membres du groupe, de la famille (si ce n’est tous) fassent une thérapie, et dans ce cas, une thérapie systémique (le système familial, groupal est analysé).
 
Enfin, il y a un troisième temps : celui de la LIBERATION.
C’est la RESILIENCE en ostéopathie : tout a été libéré dans le corps : chaque os, chaque articulation a retrouvé une juste place pour un fonctionnement juste efficace et harmonieux.
Psychologiquement le patient a accepté sa part d’ombre, il est plus avant dans le travail d’individuation, c’est-à-dire ce processus par lequel un être devient
in-dividu psychologique, une unité autonome et indivisible, une totalité.
 
Alors il peut accepter l’Autre dans sa différence, se responsabiliser dans la relation jusqu’à ce que chacun trouve sa nouvelle place, dans un nouveau mouvement, souvent en y trouvant profondément son compte.
Dominique Brulé Cuvillon